L’écrivain argentin Jorge Luis Borges compare la bibliothèque au paradis, un lieu de plénitude et de réalisation.

Le dire c’est reconnaître mille vertus au livre, l’élément clé de cet univers. Qu’y aurait-t-il donc de spécial autour du livre ?
Le raisonnement structuré.
Réfléchir et bien parler sont deux piliers fondamentaux qui régissent les interactions et la communication sociales, et en avoir l’art confère un certain pouvoir, de l’aisance dans le raisonnement. Lorsque notre cerveau s’habitue à collaborer avec les livres à travers la lecture, il adopte progressivement leur structure et leur raisonnement. Ceci tient du fait que nous sommes déterminés par un système complexe qui inclue les réalités de notre environnement, ce que nous voyons, ce que nous entendons, ce qu’on nous dit, ce qu’on vit, ce qu’on lit, etc.
Il se comprend donc aisément, en ce qui concerne les enfants par exemple, l’urgence d’inculquer les bonnes habitudes comme la lecture dès le bas âge, habitudes qui deviendront une seconde nature. Un enfant qui grandit en compagnie des livres apprend très tôt à réfléchir, à se questionner, à s’exprimer aisément et de façon singulière.

En effet, il vit ce qu’il lit et devient image de ses lectures. C’est dans cette logique qu’il faut sans doute comprendre Graham Greene quand il dit que « pendant l’enfance, tous les livres sont de divinations qui nous révèlent l’avenir, ils influent sur les événements futurs ». Il y a donc aussi une dimension anticipative non négligeable qui résulte de l’habitude de la lecture.
Mille vies en une.
En réalité, c’est quoi un livre ?
Nous pouvons le comprendre comme l’écho d’une vie, un regard sur la vie ou une projection de la vie. Le livre n’a jamais eu qu’un seul objet : la condition humaine. La culture de la lecture nous met donc au carrefour des vies, où la condition humaine acquiert diverses déclinaisons en fonction des réalités socioculturelles et de l’évolution du temps. Lire un livre c’est voyager sous d’autres cieux, dans d’autres vies ; c’est découvrir l’autre et l’explorer. Parce que nous avons lu un roman, nous pouvons, au moins sommairement, parler d’une société ou d’un peuple dont on n’avait pas connaissance jusque-là, décrire son organisation sociale, la cosmo-vision et la nature des interactions humaines qui s’y déploient.
Le lecteur est, pour cette raison, une personne dont l’esprit multiplie à la fréquence du nombre de livres consommés les horizons de connaissance et de connexion avec d’autres réalités. C’est dans cette dynamique que Voltaire postule que « la lecture agrandit l’âme ». Ainsi faut-il reconnaitre qu’à travers les livres nous côtoyons mille façons d’être et de vivre, ce qui autrement ne peut être possible que par des voyages et de longs déplacements physiques. De ce fait, la lecture nous fait gagner en expérience ce qu’il aurait peut-être fallu toute une vie pour découvrir.
La capacité de représentation et d’imagination plus aiguisée.
À la différence du cinéma, de la musique, de la peinture, etc. qui emploient des ressources audio et/ou visuels qui sont des langages en eux-mêmes vivants et directement assimilables aux pratiques sociales, la littérature (écrite, puisque nous parlons du livre) emploie un langage codifié et non symbolique que le lecteur doit se charger de rendre vivant et dynamique. Un livre ne parle pas jusqu’à ce qu’on le lise.

La richesse et la spécificité de la lecture résident dans l’ensemble de mécanismes qui s’opèrent de l’ouverture du livre à la compréhension de son contenu. Dans ce processus il faut reconnaître les mots, les appeler en leur attribuant simultanément la réalité qu’ils désignent. Ensuite il faut conjuguer ces mots dans la logique de leur enchaînement pour arriver à se représenter des actions, des scènes, des émotions et des impressions. Ceci est d’autant plus complexe que le cerveau doit se servir d’un langage basé sur un nombre limité de signes ou de lettres de l’alphabet pour exprimer et interpréter l’humain dans toute son ambiguïté. Au même moment que les yeux regardent les signes linguistiques, l’esprit perçoit un univers qui nait, une réalité qui se construit et se déploie. Ces opérations extrêmement synchronisées et rapides aiguisent les capacités de représentation et d’imagination, deux qualités qui constituent le fondement même de toute œuvre humaine révolutionnaire.
Il convient donc de dire qu’il y a beaucoup de lumières, de sourires et des univers à conquérir derrière chaque livre que nous lisons. Jules Renard estime que « chacune de nos lectures laisse une graine qui germe », et qui sait pour quel lendemain ? Le livre est un petit bonheur qu’on n’offre pas très souvent, pourtant il ne coute pas plus cher qu’une soirée en boite de nuit, que le moins stylé des téléphones ou encore un vêtement tendance.
Par Gils Da Douanla : universitaire camerounais, écrivain, journaliste culturel et traducteur freelance. Mail : gilsdouanla@gmail.com
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