La part de livres jeunesse en provenance d’Afrique francophone ou du Maghreb reste assez faible sur le marché du livre français et européen. Les maisons d’éditions africaines rencontrent de nombreux obstacles (surtout économiques ou politiques) qui limitent leur présence sur ces marchés. Les couts de transport, le faible accès aux médias, la difficulté à se positionner sur un marché très « marketé » et très encombré, et la faiblesse des réseaux de diffusion-distribution sont les principaux obstacles évoqués.
Dans cette analyse, je présente brièvement trois initiatives contemporaines de diffusion-distribution de l’édition jeunesse africaine (camerounaise) sur les marchés occidentaux : celle d’Afrilivres, de l’Oiseau Indigo et de l’Alliance Internationale des Editeurs Indépendants.
1. AFRILIVRES
Afrilivres est une association d’éditeurs d’Afrique francophone subsaharienne, de Madagascar et de l’Ile Maurice installée à Cotonou (Bénin). L’initiative de sa création fut lancée par un comité de pilotage d’éditeurs africains réunis en 2001 par Africultures, avec l’aide de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme.
Afrilivres a bénéficié du soutien du Ministère des Affaires Étrangères français, de l’OIF[1], ainsi que de l’Association des Editeurs Indépendants. L’association a un catalogue en ligne qui présente les livres disponibles chez les éditeurs associés, à partir des informations fournies par eux-mêmes, d’où, il faut bien le signaler, une certaine hétérogénéité aussi bien dans le nombre, que dans le genre des données sur les documents recensés.
Ce n’est qu’en 2014 qu’Afrilivres, pour la première fois, a présenté, la production africaine au Salon du Livre et de la presse jeunesse de Seine Saint-Denis. Pour les éditeurs d’Afrique francophone regroupés au sein d’Afrilivres, c’était une fenêtre de visibilité vers un marché français encore peu ouvert aux ouvrages venant d’ailleurs.
« Les ventes et les perspectives progressent d’année en année mais le système reste encore marginal. En effet, peu de libraires et de bibliothécaires commandent encore ces livres et il y a donc un gros travail de communication à faire »,
explique Marie Michèle Razafintsalama, présidente d’Afrilivres. L’association regroupe 32 éditeurs de 13 pays, dont une dizaine présente leur production au salon. Des albums en français et en kinyarwanda, des syllabaires en baoulé et sénoufo – sous la bannière « Livres d’Afrique », y étaient exposés pour la vente. Afrilivres a véritablement contribué à une meilleure visibilité du livre africain mais l’initiative a achoppé sur la question de la distribution, d’où l’importance d’une réflexion liée à cet échec de la distribution au Nord des livres édités au Sud.
2. L’Oiseau Indigo
Nous pensons qu’il y a un marché aussi en France, notamment auprès de la population immigrée qui souhaite présenter sa culture d’origine à leurs enfants. C’est justement pour faciliter l’accès à cette production encore méconnue qu’Isabelle Gremillet a créé, fin 2009, l’association L’Oiseau indigo, un service de distribution-diffusion et promotion des éditeurs du sud vers le marché du livre du nord.
A travers des participations consécutives au Salon du Livre et de la presse jeunesse de Montreuil, l’Oiseau Indigoassure la diffusion de petits éditeurs jeunesse en provenance de Côte d’Ivoire, Mali, Guinée, Sénégal, Liban, Tunisie ou Maroc, entre autres.
Dans leur catalogue 2016 pour le Salon du Livre et de la presse jeunesse de Montreuil, on y retrouve cinq titres jeunesse d’auteurs camerounais notamment Kouam Tawa : Une reine pas comme les autres (Classiques ivoiriens : 2016), Kidi Bebey et Isabelle Calin : Aimé Césaire-Le Poète Prophète et Modibo Keïta-Le premier président du Mali ; Alain Dzotap[2] et Pat Masioni : Le roi Njoya : Un génial inventeur.
Ces derniers n’y figurent d’ailleurs que parce qu’ils ont été publiés par des maisons d’éditions ouest-africaine affiliée à l’Association. Aucun éditeur camerounais de livre pour enfants n’y figure. Cette absence des associations et réseau de diffusion-distribution justifie l’absence observée sur les marchés occidentaux.
Isabelle Gremillet a aussi créé le festival Paroles Indigo en 2012, qui met en lumière « d’autres façons de dire le monde ».
« L’image de l’Afrique que véhiculent les ouvrages jeunesse d’auteurs français n’évoque pas l’Afrique contemporaine. Ils ignorent la diversité des réalités de ce continent, » déplore-t-elle, avant de rajouter : « Les ouvrages produits en Afrique racontent au contraire cette diversité, qu’elle soit liée à l’environnement, au milieu social, à la culture… L’Afrique, ce n’est pas un seul pays ! » L’édition 2016 a vu le lancement d’une plateforme ouest-africaine de diffusion/distribution du livre, en partenariat avec Les Classiques Ivoiriens et Bookwitty.
3. L’Alliance internationale des éditeurs indépendants
Créée en 2002, l’Alliance internationale des éditeurs indépendants est une association qui anime un réseau international composé de 80 maisons d’édition et 8 collectifs nationaux d’éditeurs, de 45 pays différents. L’Alliance organise des rencontres internationales et mène des actions de plaidoyer en faveur de l’indépendance des éditeurs.
Elle soutient aussi des projets éditoriaux internationaux – soutien qui peut prendre la forme d’une aide à la traduction ou à la coédition. Enfin, l’Alliance contribue à la promotion et à la diffusion des productions du Sud au Nord et tente, modestement, d’inverser le sens unique des flux commerciaux. L’Alliance participe ainsi à une meilleure accessibilité des livres, à la défense et à la promotion de la bibliodiversité.
Depuis 2009, l’AEI a développé, à la demande d’éditeurs membres, une activité de diffusion et de distribution en France d’ouvrages jeunesse édités en Afrique à travers son fonds « Lectures d’Afrique(s)», dans lequel on ne retrouve aucun titre jeunesse du Cameroun. Par ailleurs, dix-huit (18) des vingt-cinq (25) éditeurs, soit 72 % des maisons d’édition affiliées à l’AEI dans le secteur de l’Edition jeunesse sont africaines[3]. S’agissant du Cameroun, seul François Nkémé, y est rattaché et classé dans le genre éditorial « Littérature » et « Scolaire ». Seuls les titres jeunesses des éditeurs jeunesse d’Afrique de l’Ouest, de Madagascar et d’Afrique du Nord y sont donc représentés.
En définitive, la multiplicité des
éditeurs freine la circulation du livre dans l’espace francophone. Pour y
remédier, Béatrice Lalinon de Ruisseaux d’Afrique, recommande la mise au point de deux structures permettant une
meilleure circulation des ouvrages : une centrale en Afrique qui soit un
point de convergence des ouvrages des éditeurs africains et une structure de
distribution au Nord, qui soit un espace de vente et une vitrine des littératures
africaines. Cette structure devrait être soutenue au départ par les pouvoirs
publics.
Notes et références
[1] Toujours dans le cadre de la promotion du livre africain, l’OIF a développé deux programmes : le Prix des cinq continents de la Francophonie et le Prix du jeune écrivain francophone (PJEF) qui permettent d’encourager la production littéraire et de valoriser la langue française . En 2006, pour le PJEF, 427 manuscrits en provenance de 64 pays ont été reçus, avec le Cameroun en tête dans la liste des lauréats. Cf. :Culture et Développement, op. cit.
[2] Alain Dzotap est un auteur jeunesse camerounais. Il anime des ateliers d’écriture poétique pour enfants à l’Ouest-Cameroun et a collaboré pendant quelques années avec Parole, la revue francophone de l’Institut suisse Jeunesse et Médias.
[3] Il s’agit notamment des éditions AGO Média (Togo) de Koffivi Assem, Bakame (Rwanda) d’Agnès Gyr-Ukunda, Cérés (Tunisie) de Karim Ben Smail, Cha de Caxinde (Angola) de Jacques Dos Santos, Dodo vole (Madagascar) de Sophie Bazin, Donniya (Mali) de Sékou Fofana, Eburnie (Cote d’ivoire) de Marie Agathe Amoikon Fauquembergue, Edilis (CI) de Mical Drehi Lorougnon, Editorial El Conejo (Equateur) de Abdon Ubidia, Ganndal (Guinée) d’Aliou Sow, Graines de Pensées (Togo) de Yasmin Issaka-Coubageat, Jacana Média (Afrique du Sud) de Bridget Impey, Jamana (Mali) d’Hamidou Konaté, Jeunes Malgaches (Madagascar) de Marie Michèle Razafintsalama, Med Ali Editions (Tunisie) de Nouri Abid, Ruisseaux d’Afrique (Bénin) de Béatrice Lalinon Gbado, Yomad (Maroc) de Nadia Essalmi.