
Autour du milieu des années 90 au Cameroun, on assiste à la réémergence progressive d’un marché du livre local et l’apparition d’une nouvelle génération d’opérateurs privés[1]. Le climat sociopolitique camerounais se libéralise progressivement depuis la proclamation, le 19 décembre 1990 de la loi n°90/056, sur la liberté des associations et des partis politiques. On assiste à l’apparition de structures inédites dans le pays, à l’image de la Librairie des Peuples Noirs, librairie indépendante créée en 1994 par Mongo Béti. L’année d’après l’Association des Auteurs Illustrateurs de Livres pour Enfants- AILE Cameroun naissait, avec pour siège le Centre Culturel Français (CCF) de Yaoundé. Confronté à l’absence de maison d’édition spécialisée sur le livre pour enfants, ils profiteront d’une exposition organisée par l’Unesco lors de la journée de l’enfant africain pour lancer les Editions Akoma Mba. En effet, selon Fabrice Piault, les dynamiques à l’œuvre dans le monde du livre camerounais à l’époque, se caractérisent par un
« renouvellement de la clientèle, la création de petites structures d’édition locales commel’apparition d’une nouvelle génération de libraires [posant] les jalons d’une mutation profonde du fonctionnement de la chaine du livre »[2].
Aux origines
L’origine du projet Akoma Mba, remonte à 1994 avec l’illustratrice Marie Wabbes, épouse de Michel Verschueren, chef de la mission belge de coopération au Cameroun, qui constate que les librairies et les bibliothèques camerounaises sont vides de toutes productions locales destinées aux tout-petits. Elle décide d’agir en lançant un atelier qui s’étend sur deux ans (1994-1995) sur le thème “Livres images pour enfants d’Afrique”. Des étudiants pour la plupart – Christian Ovah, Mballa Elanga, Vincent Nomo, Liliane Onguene – forment l’effectif de cet atelier dont les premiers projets vont très rapidement être présentés en 1994 à la Foire de Bologne en Italie.
Le projet intéresse les coopérants Suisses et les Américains ainsi que les Hollandais qui, à travers leur mission de coopération basée à Yaoundé, octroient une subvention à la structure naissante à la demande de Marie Wabbes. Les trois premiers livres sont immédiatement publiés en 1995 : Matike, l’enfant de la rue de Désiré Onana, Le cri de la forêt de Vincent Nomo[3] et Bella au cœur d’or de Liliane Onguene.

Pierre Yves Njeng, diplômé en lettres modernes françaises, en tiendra les rênes jusqu’en 1999, année où il émigrera pour l’Europe, laissant le gouvernail de l’Association et de la jeune maison d’édition à Edmond Mballa Elanga. Il fallait nouer des contacts avec des structures étrangères et locales, en vue de donner une large visibilité àl’action de la structure.
De 1995 à 2005, Akoma Mba va davantage s’atteler à poser les soubassements en se souciant peu de rentabilité. La diffusion, la distribution et l’absence d’appui des organismes étatiques sont les principaux défis auxquels la structure était alors confrontée. En plus, l’absence d’un réseau de libraires ou de bibliothèques enfantines rendait difficile la survie du marché de l’édition jeunesse.
En 2002, l’AIF – Agence Intergouvernementale de la Francophonie (aujourd’hui Organisation Internationale de la Francophonie – OIF) soutient la production de la collection Afrique en lecture et le Ministère de l’Education Nationale inscrit certains livres de la jeune structure dans le programme des bibliothèques du Cameroun destinés à la lecture plaisir et aux activités ludiques.
Les temps difficiles…

Mais quelques obstacles vont faire surface : les fonds alloués par l’Etat pour l’acquisition des ouvrages sont détournés par les services relais. Les livres, une fois déposés dans certaines bibliothèques, sont vendus plutôt que mis à la disposition des écoliers, et dans certains cas, ils sont disponibles mais les bibliothèques font défaut. Le compte d’affectation, supposé soutenir les éditeurs, est inopérant voire inefficace.

Ces obstacles n’entravent point l’action d’une équipe qui réfléchit déjà plutôt sur l’impact futur de leurs publications sur les enfants. De l’avis de Mballa Elanga, les publications d’Akoma Mba voudraient s’adresser à tous les enfants, qui sont très intéressés par ces livres dont l’impact ne sera visible que dans la durée. Le plus important étant le développement de la lecture-plaisir ou du gout de lire. Selon le Directeur du livre et de la Lecture au Cameroun,
il faudra attendre 30 et 35 ans pour mesurer l’impact que le livre lu dans la jeunesse aura produit sur l’enfant devenu adulte.
Mais entre-temps, il faut ouvrir d’autres perspectives, créer d’autres collections avec des textes plus étoffés. Car, il s’agit ici d’un véritable culte rendu au livre. Il y est un support d’éducation et de divertissement. Il communique un certain nombre de valeurs à son lecteur. Des valeurs, des rêves, des espoirs. Il est une fenêtre sur notre environnement et sur les grands événements des siècles passés.
L’impact
Malgré la modicité des moyens, cette maison d’édition spécialisée sur la littérature jeunesse, déborde d’activités. On la retrouve lors des journées portes ouvertes au Centre Culturel Français (CCF), à la semaine du Livre Européen de Yaoundé, au SILYA (salon international du livre à Yaoundé) et dans bien d’autres évènements littéraires. Aujourd’hui, avec plus d’une soixantaine de livres pour la jeunesse publiés sur des sujets variés et des auteurs aguerris à la plume, cette maison d’édition a considérablement contribué à accroitre l’offre jeunesse intégrant les réalités socioculturelles aux jeunes africains.
En matière de visibilité, trois de leurs albums ont reçu des prix internationaux : deux fois par la Bibliothèque internationale de Munich[4] (Matikè, l’enfant de la rue, 1995), une fois par Unicef Dakar (Le cri de la Forêt[5], 1995) et une fois par Boyds Mills Press qui leur a décerné leprix d’honneur de la littérature d’édition américaine. Aujourd’hui, plus de deux décennies après le début de l’aventure, malgré les interruptions, Akoma Mba demeure une actrice principale voire incontournable du paysage éditorial pour la jeunesse au Cameroun. Toujours active, elle a intensifié sa présence digitale et diversifié son offre pour la jeunesse. Leur mission, quant à elle est demeurée la même : produire des livres culturellement et économiquement accessibles pour le plaisir des petits enfants et jeunes africains.

Les derniers ouvrages publiés par la maison d’édition – à l’instar des albums Zebra comics Tumbu, Aliya et Totem- sont traduits en français et en anglais, ce qui dénote une réelle ambition d’internationalisation à grande échelle.
Notes et références
[1]Raphael Thierry, « Marginalité Editoriales camerounaises », Actes de la journée d’étude du Groupe de Recherche sur l’Imaginaire de l’Afrique et dela Diaspora (GRIAD) : «Ecritures émergentes et nouvelles marges au Cameroun » (5 juin 2015), sous la direction de Pierre Fandio : http://apela.hypotheses.org/669[En ligne] Consulté le 31/01/2018
[2]Fabrice Piault, « Cinq semaines en Afrique : l’émergence d’un marché », LivresHebdo, n°336, 10 novembre 1999, p. 62.
[3]Il est aussi l’auteur de l’album Vieux Char : une histoire insolite qui raconte comment un char destiné à l’origine à tuer est recycle pour redonner la vie à un village ravagé par la guerre.
[4]Chaque année, la bibliothèque internationale pour la jeunesse de Munich sélectionne des livres jeunesse nouvellement publiés partout dans le mondequ’elle considère comme particulièrement remarquables en raison de leurs thèmes universels, de leur style, de conceptions artistiques et littéraires exceptionnelles et souvent novatrices.
[5] Il s’agit là d’un des premiers albums abordant le thème de la déforestation en Afrique, grâce à des images fortes et convaincantes et à un texte très simple. Une petite leçon d’écologie efficace qui tient en quelques pages et en peu de mots.