Dans un précédent article, nous avions présenté le débat existant autour des ‘écrivains pour la jeunesse’ et montré qu’il était assez difficile de véritablement tracer des frontières rigides de démarcation, entre écrivain pour la jeunesse et écrivain pour adultes. Dans le présent article, nous allons présenter le profil de quelques écrivains et illustrateurs de jeunesse d’origine camerounaise.
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Kidi Bebey
Kidi Bebey, spécialisée dans le roman jeunesse, est la fille de l’écrivain et musicien Francis Bebey. C’est une figure incontournable de la littérature camerounaise pour la jeunesse. Elle a travaillé comme enseignante, éditrice, directrice de rédaction et se consacre désormais à l’écriture. Son amour pour la lecture et l’écriture d’histoires remonte à son enfance où elle sera fascinée et subjuguée par le pouvoir des mots :
« La première fois que j’ai lu un livre qui m’a vraiment plu quand j’étais petite, je me suis dit : Par quel miracle, quelqu’un peut me faire ça ! Peut me toucher comme ça ! Comment est-ce que de simples mots peuvent me produire un tel effet ? Et je crois que c’est depuis l’enfance que j’ai envie de devenir moi aussi cette magicienne qui transforme les mots en histoires qui touchent les gens ».
C’est cette passion de « raconter » qui la poussera vers des études de lettre modernes (doctorat) et un master en édition, ainsi que vers l’univers du journalisme où elle devient rédactrice en chef des magazines Planète Jeunes et Planète Enfants (Bayard Presse) puis productrice-animatrice à la radio de l’émission Reines d’Afrique, sur RFI.
Aujourd’hui, directrice de la collection Lucy pour la maison d’édition malienne Cauris Livres, elle écrit ou fait écrire des livres documentaires pour faire connaître l’histoire de l’Afrique aux plus jeunes à travers des biographies de grands personnages. Elle aime aussi expérimenter différents genres : albums, romans, livres documentaires. Elle a signé la série d’aventures policières Les Saï-Saï (Edicef) et, dans la collection Lucy, des albums consacrés à Miriam Makeba, Aimé Césaire, Modibo Keita, le premier président du Mali ou encore Léopold Sedar Senghor.
Kidi Bebey signe par ailleurs des novellisations de séries télévisées comme la télénovela Chica Vampiro. Pour les adultes, elle a écrit Mon Royaume pour une guitare, un roman inspiré par son histoire familiale et le parcours de son père (paru en poche chez Pocket). Sa bibliographie s’élève actuellement à plus de 35 titres pour la jeunesse… et elle ne compte pas en demeurer là.
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Jessica Reuss Nliba
Contrairement à Kidi Bebey qui est née à Paris, Jessica Reuss Nliba verra le jour au Cameroun avant de prendre son envol pour la Cote d’Ivoire dans le cadre d’étude supérieures puis finira en France. De sa rencontre avec son conjoint Didier Reuss naitra son orientation vers l’écriture de livres pour enfants. Davantage spécialisée dans le conte jeunesse et le récit d’enfance, elle coécrit la plupart de ses titres avec Didier. Il y’a de cela trois ans, ils ont crée leur propre maison d’édition “A Vol d’Oiseaux éditions” pour faciliter la diffusion de leurs oeuvres et mieux bénéficier de leurs commercialisations.
Dans un entretien, Jessica souligne la délicatesse que nécessite l’écriture pour un jeune public :
« Il faut […] se forcer à penser comme un enfant, à regarder le monde avec des yeux d’enfants. Il faut aussi savoir trouver les idées qui peuvent plaire à un enfant, sans qu’elles paraissent naïves à un adulte ».
Malgré leur production abondante, ils sont moins présents dans les rayons jeunesse des librairies camerounaises et davantage dans celles de Cote d’Ivoire, où l’illustratrice a mené des études supérieures. Et plusieurs de ses oeuvres y sont distribués par les “Classiques ivoiriens” à Abidjan et elle a également beaucoup collaboré avec l’auteure et illustratrice ivoirienne Muriel Diallo.
Jessica décrie le faible pouvoir d’achat et l’absence d’une véritable politique du livre comme étant les principaux freins à l’émergence de la littérature d’enfance et de jeunesse au Cameroun.
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Christian Kingue Epanya : illustrer l’Afrique dans sa diversité.
Christian Kingue Epanya est né en 1956 à Douala au Cameroun. Après avoir occupé un poste de responsable de chargement de pétrole en mer (Loading Master) chez Elf Serepca de 1983 à 1990, il arrive à Lyon pour faire une école spécialisée en illustration, dessin animé, bande dessinée : l’école Émile Cohl, dont il sort diplômé en 1992. En 1993, il remporte le Prix UNICEF des Illustrateurs à la Foire internationale du livre jeunesse de Bologne en Italie. De 1994 à 2000, il a collaboré avec les historiens Ibrahima Baba Kake et Elikia M’Bokolo dans la rubrique “Odyssées africaines” du magazine de bord d’Air Afrique ” Balafon”. Et peut être largement considéré comme le meilleur illustrateur camerounais de livres pour enfants.
Christian Epanya est la figure idéale de l’artiste qui vit pour l’art en lui-même et pour lui-même. Un des tout premier illustrateur camerounais, il va collaborer avec de nombreuses figures de la littérature jeunesse tant nationale qu’internationale. Auteur de près de 25 titres pour la jeunesse dont Le Roi de la Sape, sélectionné par le célèbre catalogue White Ravens de la Bibliothèque internationale de Munich, la plus grande et prestigieuse instance de promotion de la littérature d’enfance et de jeunesse mondiale, qui y reprend les 200 meilleurs titres de jeunesse de l’année. Un autre de ses titres, est Le Taxi-Brousse de Papa Diop,son meilleur succès,qui a été adapté et joué au théâtre en Suède.
Aujourd’hui, il se consacre exclusivement à l’exercice de ses deux passions : écrire et illustrer. Passions qu’il partage avec des enfants lors des différents ateliers auxquels il participe à travers la France. Il travaille comme illustrateur indépendant depuis cette même année et anime à ce titre aussi des ateliers d’écriture et d’illustration en France et à l’étranger. Mais il déplore le faible intérêt de l’Etat camerounais pour ce maillon important qu’est la littérature de jeunesse dans la construction de la jeunesse.
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Marie Félicité Ebokéa
Auteure d’une vingtaine de titres pour la jeunesse et connue également sous son pseudo Marifelbo, elle pénètre l’univers du livre pour enfants à la suite de sa participation au casting du film d’animation Kirikou et la Sorcière de Michel Oslo au Sénégal. Son premier livre pour enfant, Pau et Vent (1994), nait de sa volonté de « raconter un peu [son] Afrique à moi » à sa fille qui allait naitre loin de sa grand-mère. En effet, la plupart des auteurs jeunesse » le deviennent par accident surtout lorsqu’ils deviennent parents.
Marie Félicité décidera donc de partager les histoires de son enfance avec les enfants d’Europe. Une enfance qui aura été marquée par la lecture des classiques de la Bibliothèque verte et de la Bibliothèque Rose avec la Comtesse de Ségur. Après plus de 25 ans de carrière, elle déclare qu’il est presqu’impossible de vivre de ce métier.
Il faudrait que cela relève d’une passion totale car l’essentiel des revenus proviennent des interventions et des performances réalisées dans des salons et écoles. Au-delà de ses activités culturelles et littéraires réalisées principalement en France, aucune n’a jusqu’alors été posée au Cameroun où « il ne se passe rien. C’est comme si on n’était même pas fier de toi » déplore-t-elle, un peu avec amertume dans la voix, lors de notre interview.
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Joëlle Esso
Initiée à la lecture par son père qui lui demandait de réaliser des comptes rendus d’articles de journaux choisis aléatoirement, Joëlle Esso, durant son enfance baignera dans l’univers du livre. Ses premiers albums illustrés furent Babar, Titi et Gros Minet, Kouakou, Mamadou et Binetta. Et c’est l’« absence criarde de jeunes héroïnes » dans la littérature africaine de jeunesse qui lui incite à se lancer dans le monde des arts graphiques (danse), puis dans le chant et enfin dans l’illustration de livres.
Editrice et illustratrice avec 12 ans de carrière à son actif. Concomitamment à la musique, elle fera son entrée dans l’univers de la littérature d’enfance et de jeunesse avec sa BD « Petit Joss » et la série « Eto’o Fils » (Retrouvez l’interview ici). D’après elle, la BD et le livre de jeunesse ont un bel avenir car ils touchent même ceux qui ne savent pas lire. C’est grâce aux dessinateurs et peintres que nous connaissons nos lointains ancêtre. Elle préconise la création de bibliothèques de quartier accessibles à toutes les bourses, les subventions à l’édition et auteur jeunesse comme mesures de soutien à la littérature jeunesse.
Voilà brièvement présenté, le profil de 5 baobabs de l’histoire de la littérature d’enfance et de jeunesse du Cameroun. Au regard de leurs réalisations dans la filière du livre pour la jeunesse, nous pensons qu’ils sont incontournables et tous unique dans leur style, leur expression et approche. Dans les prochains articles de cette série, nous vous présenterons d’autres baobabs et auteurs ayant profondément marqué le champ de la littérature d’enfance et de jeunesse au Cameroun. Il s’agira de :
- Joel Eboueme Bognomo
- Edmond Mballa Elanga
- Alain Serge Ndzotap
- Boudjeka Kamto
- Vincent Nomo
Si vous connaissez d’autres baobabs de la littérature pour enfant au Cameroun, n’hésitez pas à nous le faire savoir par commentaires ou écrivez-nous à info@munakalati.org et nous nous ferons un plaisir de dresseur leur profil.
Cette série sur les baobabs de la littérature jeunesse s’étendra à d’autres pays africains, notamment la Cote d’Ivoire, Congo, Sénégal, Ghana, Mali etc. L’idée c’est de valoriser ces auteurs et acteurs de l’édition de livre qui œuvrent depuis des décennies pour promouvoir une culture durable de la lecture auprès des jeunes. Ils le méritent largement et ce profilage n’est que la première étape d’un processus de valorisation et de consécration de leur travail.