Muriel Diallo est une artiste polyvalente qui navigue entre la peinture, l’illustration, l’écriture et le conte. Cette native de Boundiali en Côte d’Ivoire nous dévoile dans cette interview les secrets de sa réussite et sa vision de la littérature de jeunesse en Afrique.
Muriel Diallo, bonjour!
Merci, bonjour Narcisse Fomekong.
Comment s’est déroulé votre rencontre avec le livre et la lecture ? *
La majorité des enfants dans le monde apprend à lire et à écrire grâce aux manuels scolaires. Moi, je ne me suis jamais souvenue des livres dans lesquels j’ai appris à lire. Ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais rien. Pour une petite fille, vivant dans une des villes les plus reculées de la Côte d’Ivoire dans les années 70, habituée à grimper aux arbres et à faire les 400 coups en permanence, je serai sans doute passée à côté du Livre si ma mère n’avait pas eu ce déclic : offrir à ses enfants une valise. Bleu foncé. « Quelle idée !!! » j’ai aussitôt pensé ! Septembre 1975. J’avais 8 ans. La valise était en réalité un tourne-disque. Arrivé comme une immense bouffée d’air frais au moment où ma curiosité sans limite ne se satisfaisait plus de mes expérimentations, ce cadeau était en plus accompagné d’un lot de très beaux albums jeunesse. Je suis encore émue rien que d’y penser. Les voix des narrateurs, la musique, les bruitages ont gravé alors en moi, les mots, les ambiances de mille lieux, la magie des histoires du Père Castor, des contes de Grimm, Perrault et Andersen … C'est comme ça que je me suis fait avoir… je me suis laissé apprivoiser. Rencontre inoubliable ! L’idée était très bonne.
Quels furent les premiers livres pour enfants que vous avez lus ? Etaient-ils africains ? Des auteurs d’enfance dont vous vous souvenez ? Que vous ont apporté ces pratiques de lecture durant votre enfance ? *
Mes premiers livres pour enfants étaient essentiellement des contes traditionnels d’Andersen, des frères Grimm et de Charles Perrault. A 10 ans, je me suis intéressée aux ouvrages de La comtesse de Ségur et de Georges Chaulet (série Fantômette/ bibliothèque rose). Il n’y avait pas d’auteurs africains en littérature jeunesse en ce temps-là, mais j’ai pu compter sur une grand-mère exceptionnelle pour me transmettre les magnifiques histoires de son enfance : les hyènes gourmandes et les princesses noires aux longues tresses fines ont alors fait connaissance avec les loups et les princesses blondes dans ma tête. Je lisais et je lis encore pour le plaisir. La lecture a éveillé et continue d’éveiller ma curiosité pour le monde qui m’entoure. Du jour au lendemain, j’ai découvert que le monde était vaste et aussi…très compliqué. Cela m’a donné envie de le parcourir!
Pourriez-vous nous dresser un panorama de votre carrière ? Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l’univers du livre pour l’enfant ? Est-ce un choix ou un coup du destin ?
Après un passage éclair en Faculté des sciences humaines/psychologie puis aux Beaux-Arts d’Abidjan, j’ai enseigné les Arts Plastiques dans plusieurs lycées de Côte d’Ivoire pendant 7 ans. Artiste peintre freelance, j’ai ensuite participé à de nombreuses expositions de peintures et résidences-missions d’artistes dans le monde si vaste et très compliqué. Auteure illustratrice d’albums, de nouvelles, et de nombreux articles pour plusieurs maisons d’éditions et de revues spécialisées, j’habite aujourd’hui en France. Qui aurait cru que la petite fille « pas costaude du tout mais plus téméraire que 10 garçons», qui grimpait sur un Anacardier pour scruter l’horizon parcourrait le monde pour de vrai ! Personne n’aurait parié sur moi, je paraissais trop indisciplinée ! Écrire pour les enfants ou pour les adultes importait peu. Moi je rêvais déjà ! Perchée sur mon arbre. Je m’imaginais écrire et dessiner partout, et sur tout. Pour tous. Plus tard, mon premier ouvrage publié est un album jeunesse. La machine s’emballe, et avant d’avoir eu le temps de dire ouf, il y a eu un deuxième, puis un troisième album… c’est ainsi que je me suis retrouvée cataloguée dans l’univers du livre pour enfant.
Quelles sont les difficultés et obstacles auxquels vous avez dû faire face ? L’accès aux éditeurs a-t-il été aisé ? Est-il possible de vivre uniquement de ce métier?
J’ai eu énormément de chance dans ce domaine, j’ai pu travailler avec des éditeurs profondément engagés et ainsi vivre de vraies aventures humaines. Malheureusement, trop souvent confronté aux problèmes de diffusion, le livre édité en Afrique a toujours autant de mal à circuler dans le monde. Cela met à mal la visibilité d’une Afrique moderne et dynamique. Après, il y a de nombreux autres moyens de se procurer un livre aujourd’hui bien heureusement, un livre de qualité trouvera toujours le moyen de voyager. On ne va pas se plaindre indéfiniment. Les choses changent doucement mais sûrement. Regardez ce qui se passe, ce sont nos lecteurs qui nous rendent visibles, en parlant de nous, de nos livres...Et ça marche ! Après avoir collaboré avec des maisons d’éditions françaises, j’ai choisi en 2010 de soutenir les Classiques Ivoiriens (Côte d’Ivoire). L’aventure est exaltante, pas toujours de tout repos mais tellement gratifiante. Un vrai travail de fourmi! Nos projets éditoriaux hauts en couleur, s’inspirent enfin des valeurs et du paysage africain d’aujourd’hui. J’en avais rêvé enfant !
Combien de livres pour enfants avez-vous publiés à ce jour ? Pourriez-vous les nommer?
A ce jour j'ai publié 40 titres; les dernières parutions sont très récentes (fin décembre 2020). Il s'agit de la collection Pi et Po, qui comprend 7 titres et est destinée à la petite enfance. Editions les Classique Ivoiriens.
Quels rapports entretenez-vous avec les auteurs/illustrateurs africains de jeunesse ? Collaborez-vous ?
C’est toujours avec un réel plaisir que je collabore avec les auteurs Jessica et Didier Reuss, ce sont des passionnés du livre que je respecte et admire énormément. Je prends toujours beaucoup de plaisir à travailler avec eux sur des projets éditoriaux. Je connais bien Kidi Bebey et Christian Epanya pour les avoir régulièrement côtoyés lors d’événements littéraires. Quant à Marie-Félicité Ebokéa, nous avons travaillé sur un projet commun il y a déjà plusieurs années. J’en garde encore de très bons souvenirs.
Que pensez-vous de la situation générale du livre et de la lecture dans votre pays ? Auriez-vous des propositions pour en améliorer la gestion ?
La littérature jeunesse en Côte d’Ivoire rentre peu à peu dans les habitudes, on peut même dire qu’elle fait désormais partie du paysage littéraire. Les éditeurs (qui sont de plus en plus nombreux) font des efforts pour produire des ouvrages de qualité à des prix plus ou moins accessibles. Mais je pense que toute l’Afrique est dans cette dynamique. La littérature jeunesse entre dans les programmes officiels de l’Ecole publique (Primaire et Maternelle). On sent un engouement certain au sein d’une partie seulement de la population, engouement qui s’arrête -et cela est fort regrettable- aux portes des grandes villes, car le livre jeunesse peine encore à atteindre l’intérieur du pays. Il faudrait certainement réfléchir à une nouvelle politique des bibliothèques dans les écoles pour accompagner l’effort des éditeurs et des libraires. En 2021, la grande majorité des écoles publiques n’a toujours pas de coin bibliothèque. De gros efforts sont faits par des particuliers et des organismes ci et là mais cela reste insuffisant.
Quelle est votre vision de l’avenir de la littérature jeunesse dans votre pays?
Je vois une production riche et de qualité, que le monde entier s’arrache. Je vois des enfants et des auteur(e)s fiers de leur continent à cause du succès et de la reconnaissance de leurs histoires, je n’y vois que du positif !
Un dernier mot ou message?
Merci et à très vite.